Une scène de la pièce : Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad
Par: Adam Mira
La Palestine vit le colonialisme de peuplement, le conflit palestino-israélien
est très connu dans le monde à cause de sa situation délicate liée à la
création d’Israël en 1948 en Palestine par et avec le soutien occidental. Certes,
la cause palestinienne est abordée par des écrivains de toutes nationalités,
avec un regard et une vision qui demeurent très souvent corrélés à l’atmosphère
et l’expérience de la personne qui traite cette cause créée par
l’occident. En effet, deux hommes de différentes époques, de différentes
atmosphères culturelles, de différents parcours, de différents regards et
visions envers la Palestine, traitent la cause palestinienne selon leur
expérience. Un sujet compliqué et facile en même temps, ils l’abordent avec
beaucoup de délicatesses afin de faire passer leur message, l’un selon une idée
pro-occidentale et l’autre c’est celle d’un palestinien refugié qui prêche la violence
pour la libération de sa patrie trois fois saintes.
Ghassan Kanafani, un réfugié palestinien, consacre ses écritures à la peine
des réfugiés palestiniens, à leur rêve de retourner à leur pays natal et aussi
à l’idée de : la violence révolutionnaire qui oriente les réfugiés
vers le chemin de la liberté, de la délivrance et de l’émancipation par rapport
à la colonisation.
En revanche, Wajdi Mouawad, un émigré libanais au Canada, rédige certains
de ces écrits sur la cause palestinienne, avec un peu d’imagination et une
vision pro-occidentale, il ajoute sa touche en tant qu’artiste afin de montrer
à sa façon la complexité de cette relation entre Palestiniens et Juifs sans apporter
une solution concrète pour résoudre ce conflit. Celui-ci est corrélé au passé,
un passé plein d’histoires et d’anecdotes, de douleurs, de malheurs et de joies. Deux peuples sémites coincés et prisonniers
du passé. D’ailleurs, le passé est-il une torche pour illuminer le chemin de
l’avenir ? Ou peut-être est-il utilisé en tant que justification pour
coloniser un autre peuple ? Ou encore est-il un moyen afin de rester fidèle
à une patrie qui se transforme alors qu’on en efface jour après jour sa véritable
identité ?
Pour Kanafani, la violence est l’ultime chemin pour s’émanciper, cependant,
la continuité de la souffrance de deux
peuples sémites est l’idée présentée par Mouawad. Chacun des deux présente sa vision et son
regard sur le sujet.
A l’instar de ce qui est écrit ci-dessus, cette recherche se concentre sur
la comparaison entre les deux auteurs à travers leurs écritures. Deux ouvrages,
une nouvelle intitulée Retour à Haïfa
de Kanafani et une pièce de théâtre nommé Tous
des oiseaux de Mouawad, traitent de la cause palestinienne présentée par
une histoire traitée par chacun des deux selon son expérience et sa vision. La
similitude et la divergence sont des concepts humains qui sont aussi communs
entre les écrivains, bien que les deux soient de la même origine : arabe, ils
portent différentes nationalités et différentes visions.
Justification
Le choix de ce sujet est très important, car la colonisation de peuplement
en Palestine est un sujet délicat depuis la création d’Israël en 1948. Certes,
le conflit entre les autochtones palestiniens et les juifs sionistes continue
et est omniprésent sur la scène politique internationale. D’ailleurs, de
nombreux philosophes et écrivains de différentes origines et nationalités,
incluant des arabes, et de pensées diverses préposent une solution. En ce sens,
étudier ce sujet est capital afin de mettre la lumière sur les idées proposées.
Définition
Avant d’entamer cette
recherche, il est recommandé de définir certains termes.
Les autochtones : les peuples
autochtones sont les habitants dans une contrée limité qui pratiquent leur vie,
leur culture et leur mode de vie avant l’arrivée d’une population qui est
différente. Ce dernier devient par la suite le maître dominant qui finalement est
celui qui définit les peuples autochtones, car sans lui ces derniers ne seraient
pas indigènes. (Nations Unies 2007)
L’invasion est une composition, une
structure, une série de manœuvres et d’évènements permettant à l’envahisseur de
rester interminablement, c'est-à-dire, le colon n’a pas l’intention de
repartir, au contraire son but est de se transcender, de dépasser et de s’élever
au-dessus de tous. L’occupant se sert de tous les moyens pour réaliser
son projet afin de rester, de décimer le colonisé, d’exploiter ses richesses et
d’inventer une nouvelle histoire, de créer des mythes et d’effacer le passer en
vue de le remplacer par de nouvelles anecdotes et de nouvelles fables. Le colon
cherche le moment fatidique afin de devenir le nouveau maître, sa virulence se
cache derrière un masque d’être quelqu’un qui cherche la paix. (Zertal 2013)
Sionisme : « mouvement politique et religieux né de la nostalgie de Sion,
permanente dans les consciences juives depuis l'exil et la dispersion. Provoqué
au XIXème siècle par l'antisémitisme russe et polonais, activé par l'affaire
Dreyfus, et qui, visant à l'instauration d'un Foyer national juif sur la terre
ancestrale, aboutit en 1948 à la création de l'État d'Israël. » (CNRTL
2010)
Kanafani et Mouawad
Ghassan Kanafani (1936-1972) est un écrivain qui a brandi sa plume comme
une arme afin de défendre sa cause, celle de son pays, la Palestine. Il a été
assassiné par le Mossad israélien pour ses écrits. Il était le porte-parole du
mouvement palestinien de tendance extrême gauche Le Front populaire de
libération de la Palestine (FPLP), cette mouvance ayant pour devise :
« La violence révolutionnaire est le seul chemin pour libérer la Palestine.
» (Kanafani 1977, 31)
La nouvelle Retour à Haïfa raconte l’histoire d’un couple
palestinien (Saïd et Safia) qui regagne son pays la Palestine colonisée après
deux défaites de 1948 et de 1967. Le lendemain de cette dernière, c’est le
moment pour le couple de retourner à leur ville natale pour récupérer l’enfant
oublié pendant sa fuite précipitée vingt ans auparavant. À l’arrivée du couple
à la maison abandonnée, une famille juive l’occupe, elle a adopté aussi
l’enfant oublié Khaldoun qui a pris son nouveau patronyme Dov et qui
sert dans l’armée israélienne. La rencontre déchirante entre les parents et
leur fils tourne très mal, par conséquent, le père décide de prendre son sort
en main par la violence.
Wajdi Mouawad, né en 1968, quitte le Liban avec sa famille en 1977 pour la
France à cause de la guerre civile qui secoue son pays depuis 2 ans. En 1983, sa
famille émigre au Canada où Wajdi grandit, étudie le théâtre et en sort diplômé
en 1991. Il devient : acteur, metteur en scène, traducteur et dramaturge. « C'est
un dramaturge et un metteur en scène multiculturel dont l'œuvre dramatique est
reconnue pour son influence morale. » (Garebian 2015)
La pièce de théâtre Tous des oiseaux raconte l’amour entre Wahida et
Eitan, un amour qui devient un cauchemar après la découverte de la vérité sur l’histoire
de l’amoureux lorsque celui-ci est transporté à l’hôpital après un attentat sur
le pont Allenby joignant la Jordanie et Palestine/Israël. Pendant qu’Eitan est hospitalisé,
sa famille (ses parents et ses grands-parents) se rendent à l’hôpital où la
vérité éclate, Eitan est le fils d’un palestinien volé pendant la guerre de
1967. Bien qu’il soit juif, le protagoniste prend une décision majeure à la
dernière page de cette pièce.
Les deux hommes, Kanafani et Mouawad, ont quitté leur pays natal, mais la
différence entre les deux est immense, car le premier a été obligé de fuir son
pays à cause d’une décision internationale de donner la Palestine à un autre
peuple…... Un exil forcé pour les autochtones palestiniens. Le philosophe
français Michel Agier conclut cette situation :
« L’exode dans la guerre n’est
pas la simple migration d’un lieu à un autre. Mieux vaudrait dire d’emblée que
les réfugiés ne sont pas des migrants. Non seulement ils n’ont pas choisi
d’être mobiles, mais en outre leur exil prolonge les violences, les massacres
et les peurs qui l’ont provoqué et qui ont redéfini leur identité le plus
intime. »
(Agier 2002, 47)
En revanche, Mouawad a quitté son pays de son gré avec sa famille à cause de
la guerre civile libanaise. La famille Mouawad opte pour un choix, celui de
partir et de construire une nouvelle vie ailleurs, elle possède les moyens pour
réaliser son souhait qui est le contraire d’un réfugié qui fuit son pays sous
les bombardements et la menace d’être tué sans avoir d’autre choix ou moyen.
Après avoir mentionné la différence entre la situation de chaque auteur,
l’étude opère une micro-lecture des deux ouvrages en comparant leur style, leur
écriture et surtout leur vision envers le conflit entre Palestiniens et juifs
sionistes.
Les titres des deux ouvrages
À partir des titres des deux ouvrages, les auteurs veulent passer un
message.
Kanafani un homme
brisé, voire mélancolique, qui a vécu la guerre de 1948, raconte son passé
malheureux à travers le vécu d’un couple voulant regagner sa maison abandonnée
et son fils oublié dans la hâte de l’exode forcé. En revanche, Mouawad veut
raconter l’histoire compliquée entre les palestiniens et les juifs à travers une
relation amoureuse, un regard romantique qui essaie d’expliquer la souffrance
vécue des deux côtés.
Certes, Kanafani choisit le mot Retour en tant qu’évidence, c’est
quelqu’un qui regagne sa ville natale après un certain temps d’absence. Il est
à noter que le retour en Palestine est interdit aux palestiniens par les
nouveaux maîtres du pays, pourtant le premier gouvernement israélien formé en
1948 déclare la loi du retour
aux juifs, un décret autorise les juifs qui se trouvent dans les quatre
coins du monde d’avoir une place en Israël et de devenir citoyens à part
entière. Par ailleurs, le 11 décembre 1948, les Nations Unies adaptent la
résolution 194 qui accorde le droit du retour aux Palestiniens expulsés afin
de retourner dans leur pays qui est devenu Israël, la résolution n’est
absolument pas respectée par l’État hébreu. (Reinhart 2003)
Quant à Mouawad, il emploie le mot oiseau, d’ailleurs
la pièce contient quatre chapitres avec différents adjectifs qui définissent le
mot oiseau : oiseau de beauté, oiseau de hasard, oiseau de malheur et
oiseau amphibie. De toute évidence, l’oiseau est un symbole pour les
émigrés, ceux-ci retournent dans leurs pays après un certain temps. Mouawad, étant
arabe, comprend parfaitement la signification de cette métaphore très présente
dans la littérature arabe. En effet, le mot oiseau fait partie de la
mémoire palestinienne, car ce volatile retourne chaque année à l’emplacement de
sa naissance en faisant un long voyage, en traversant des océans et des mers
pour atteindre son lieu d’ancrage. Mouawad écrit :
« Les oiseaux vont et viennent
de chaque côté de ce mur, quand ils sont là-bas, ils sont là-bas, quand ils
sont ici, ils sont ici. Qui serait dire le contraire ? il existe pourtant
des oiseaux quantiques, à la fois là-bas et ici, apparus comme nous à l’instant
du Big Bang, et qui volent toujours au midi des deux mers. » (Mouawad
2018, 72)
C’est exactement ce que vit le palestinien qui attend
impatiemment le jour de son retour sur sa terre. Par ailleurs, l’opération nommé opération
de Mouette, en 1979, est l’échange des prisonniers palestiniens
contre un soldat israélien. Le mouvement Front populaire de libération
de la Palestine Commandement-général (FPLP) utilise le mot Mouette pour
nommer l’opération d’échange, cette métaphore explique le retour des captifs à
leurs familles, c’est les oiseaux palestiniens qui regagnent leur proches après
un certain temps en captivité. (FPLP 2015)
Style commun
Mouawad et Kanafani emploient dans leurs écritures des phrase courtes et
complètes. Dès le début, ils formulent leurs paroles de façon claire et
directe. Les phrases en général sont courtes et distinctes, il n’y a pas de
points de suspensions, mais au contraire une série de phrases enchaînées. On y
retrouve la subordonnée, des phrases complètes qui contiennent le prédicat, les
déterminants et le complément.
Kanafani écrit : « Sa
femme fit le tour et resta à son côté, mais elle n’avait pas autant
d’assurance. Il lui prit le bras et l’aida à traverser la rue, le trottoir, le
portail vert en fer, l’escalier. » (Kanafani 1997, 98)
Aussi Mouawad écrit : « …Depuis
que je viens ici, dans cette immense bibliothèque, de cette immense université,
de cette immense ville, je n’ai pas cessé de trouver ce livre sur les tables où
je m’installais au hasard, sans jamais, jamais rencontrer la personne qui
l’empruntait. » (Mouawad 2018, 09)
La ponctuation de ces deux passages ci-dessus, en général dans les deux
textes, est constituée de phrases courtes qui montrent la volonté des deux
auteurs de s’exprimer de façon directe et de faire passer leurs messages sans susciter
la moindre ambiguïté. Les deux auteurs, pour narrer la souvenance, procèdent
par la technique du Flash-back. Le narrateur dans le texte Retour à Haïfa
fait des retours pour raconter l’évènement de la perte de Haïfa et aussi
la perte de Khaldoun, ce malheur qui évoque l’occupation de la ville
palestinienne perdue et la sortie de ses habitants dont Saïd et sa femme Safia
font partie. (Akaïchi
2005, 238-239)
« Mercredi 21 avril 1948, au
matin. Haïfa ne soupçonnait rien encore, même si une tension confuse régnait.
Le bombardement vint de l’est, des hauteurs du mont Carmel. Les tirs de mortier
commencèrent à siffler au-dessus du centre-ville, en direction des quartiers
arabes.
Tout ce qu’il savait, c’est que
les Anglais contrôlaient toujours la ville…. Combien de temps s’écoula avant
qu’elle (Safia) se rappelle que le petit Khaldoun était resté dans son lit, à
Al-Hallisa ? » (Kanafani
1997, 90-92)
Durant la narration, le passé se mélange avec le présent, voire avec la
pensée et l’esprit de Saïd qui ne s’arrête pas de s’interroger sur l’évènement
de sa fuite avec Safia 20 ans auparavant. Pendant le trajet du retour, Saïd se
rappelle les moments de son passé et le moment présent dans sa voiture avec sa
femme avant d’atteindre sa maison abandonnée et son fils oublié.
« C’est à cet instant que
la pensée du petit Khaldoun le saisit, son fils qui, ce même jour, atteignait
son cinquième mois ; une sourde angoisse l’envahit. Aujourd’hui encore que
vingt ans le séparassent de ce jour-là, c’était l’unique chose dont le goût
persistait dans sa bouche. » (Kanafani 1997, 90)
Par ailleurs, Mouawad emploie le dialogue pour raconter l’histoire du
passé, pour expliquer comment l’enfant palestinien est arrivé à la famille
juive. Nonobstant, Kanafani écrit une nouvelle, il emploie le monologue en
proses pour raconter son histoire, l’histoire de son peuple, de sa famille et
de lui-même. Par contre, Mouawad écrit une pièce de théâtre, c’est le dialogue
qui explique l’évènement. C’est l’aveu direct du grand-père à son neveu qui
amène ce dernier à comprendre sa vérité, à saisir sa vraie identité.
« Eitan : Tu es devenu
fou ?
Etgar : Non, mon petit, je
ne suis pas devenu fou, je l’ai été ! Il faut être fou pour faire ce que
j’ai fait ! Voler un enfant palestinien est une folie pour tout
Israélien ! Il faut être fêlé pour
voler en 1967 un enfant arabe quand l’Arabe est l’ennemi ! Pourquoi en
pleine guerre un soldat ferait une pareille chose ? Il faut
comprendre : je ne t’ai pas trouvé dans la ouate et le coton, je t’ai
trouvé dans l’odeur de la mort et ma vie aussitôt est devenue un mensonge
immense ! ... » (Mouawad 2018,78)
Le moment
de bascule et de confusion : le colonisé en face de sa vérité
La rencontre entre Saïd et sa femme avec leur fils oublié Khaldoun/Dov est
le moment décisif de cette nouvelle où tout a basculé. Chacun des deux est en
face d’une nouvelle vérité, une constance inimaginable. Cependant, il faut
trancher, il faut prendre une décision, avoir une opinion, une réaction, un
quelque chose.
« Quand j’ai su que vous étiez
arabes, je n’ai pas arrêté de me demander : Comment un père et une mère
peuvent-ils abandonner leur fils de cinq mois et s’enfuir ?» et ajoute-t-il
« Je suis ici, cette femme est ma mère ; vous deux, je ne vous connais pas et
je ne ressens pour vous aucun sentiment particulier. » (Kanafani 1997, 120)
Dov dans ce passage parle à travers sa pensée reçue par sa famille adoptive
juive, il raconte simplement ce que le colonisateur pense, en sus de refuser d’être
un colonisé bien qu’il le soit.
D’ailleurs, le colonisateur possède
un stéréotype, un cliché envers le colonisé, pour lui le colonisé est une
personne irresponsable, paresseuse, incapable de protéger et se protéger, voire
qui ne mérite pas ce qu’il possède. Albert Memmi décrit très bien cette
situation : « …Rien ne pourrait mieux justifier le dénuement du colonisé que
son oisiveté. » (Memmi 1985, 99)
Memmi ajoute : « … Le colonisé, quelque fonction qu’il assume, quelque
zèle qu’il y déploie, ne serait jamais autre que paresseux. » (Memmi 1985,
100)
Memmi tranche : « … Le
colonisé est un arriéré pervers, aux instincts mauvais, voleur, un peu sadique,
…, il faut bien se défendre contre les dangereuses sottises d’un irresponsable
; et aussi, souci méritoire, le défendre contre lui-même !» (Memmi 1985,
102)
La même pensée traverse le cerveau de l’enfant volé dans la pièce de
Mouawad, celui-là insiste sur un point que dans toutes les cultures, le cliché
envers le colonisé reste incorrigible. Il ne faut pas oublier que le Nouveau Monde
est une colonisation de peuplement et c’est là où Mouawad a grandi.
« David. Je ne voudrais
pas être Palestinien aujourd’hui. C’est un peuple qui n’a plus de peuple que sa
part animale. Des bêtes, des meutes, des assassins. …. Ils (les Palestiniens)
ne sont que les criminels, ils exhibent les cadavres de leurs enfants, les
larmes de leurs femmes et nous accusent, nous, de les exterminer. … Cette
terre est à nous, on va le leur rappeler. Les Arabes, il faut leur rappeler
leurs origines, il faut les déplacer jusqu’aux Arabes, ils venaient du désert
il faut les rendre au désert. » (Mouawad 2018,70)
Les deux écrivains expliquent à travers leurs écritures que le cliché, le préjugé
demeurent éternels, il est impossible d’être positif. Le colonisé qui a été
vaincu, il ne sera respecté que le jour où il vaincra et prendra son sort en
main.
En effet, à la fin des deux ouvrages, cette étude distingue deux visions,
deux regards différents envers la réaction face à la vérité découverte par Dov
ou Eitan.
Kanafani a résolu la situation, il s’adresse à son fils biologique
Khaldoun/Dov : « Vous pouvez rester chez nous provisoirement ; mais
seule une guerre pourra régler le problème. » (Kanafani 1997, 126)
Pendant le voyage du retour, Saïd s’est tu longtemps avant d’avouer à sa
femme son souhait que son fils cadet Khalid rejoigne la résistance
palestinienne : « Je souhaite que Khalid soit parti…pendant notre absence.
» (Kanafani
1997, 127)
La décolonisation est un acte lucide afin que le colonisé reprenne sa
liberté, récupère son honneur et sa dignité, ce geste crée un être à nouveau
libre et qui tient son sort entre ses mains. Frantz Fanon dit :
« La décolonisation ne passe
jamais inaperçue, car elle porte sur l’être, elle modifie fondamentalement
l’être, elle transforme des spectateurs écrasés d’in-essentialité en acteurs
privilégiés, saisis de façon quasi grandiose par le faisceau de l’histoire.
Elle introduit dans l’être un rythme propre, apporté par les nouveaux hommes,
un nouveau langage, une nouvelle humanité. La décolonisation est véritablement
la création d’hommes nouveaux. » (Fanon 2002, 40)
La seule voie afin d’être émancipé et libre c’est la violence, et pour
former une société, un État, un pays, la violence est le seul chemin. Fanon
continue :
« …Les fameux échelons qui
définissent une société organisée, ne peut triompher que si on jette dans la
balance tous les moyens, y compris bien sûr, la violence. » (Fanon 2002, 46)
Puis, il ajoute :
« Le colonisé qui décide de
réaliser ce programme, de s’en faire le moteur, est préparé de tout temps à la violence,
…, il est clair pour lui que ce monde rétréci, semé d’interdictions, ne peut
être remis en question que par la violence absolue. » (Fanon 2002, 46)
Kanafani partage l’idée de violence avec Frantz Fanon, les deux proviennent
d’une seule école, le militantisme pour une cause révolutionnaire, Fanon a lutté
jusqu’au dernier souffle de sa vie pour la Révolution algérienne qui a vaincu
la France un an après sa mort, et Kanafani aussi a perdu la vie à cause de ses
idées révolutionnaires afin de libérer son pays par la violence. Par contre,
Mouawad prêche une nouvelle vision, il traite la vérité palestinienne, la
vérité de ce conflit entre deux peuples sémites, par une vision qui reste vague
et confuse. Mouawad écrit :
« Eitan. … Papa je me
penche vers ta tombe comme on se penche vers la mer immense, …, Que la mer se
sépare, que le vent se lève et que les oiseaux t’emportent. Adieu, mon père,
adieu. Je vivrai ma vie et elle sera ce qu’elle sera, entière, brûlante, mais
au seuil de ta mort, je te fais cette promesse : tant que dans le carnage
se tresseront tes deux prénoms, tant que dans le sang s’opposeront leurs
langues, moi Eitan, héritier, fils de Norah er de David, petit-fils de Leah er
d’Etgar, héritier de deux peuples qui se déchirent, je ne me consolerai pas, je
ne me consolerai pas, je ne me consolerai pas, je ne me consolerai pas. »
(Mouawad 2018, 87)
Eitan est le fils d’un palestinien qui a été volé, puis nommé David s’est
suicidé lorsqu’il a appris ses origines palestiniennes. Malgré cela, Eitan opte
pour rester juif, c’est exactement le même choix de Khaldoun/Dov dans la
nouvelle de Kanafani. Cependant, la différence entre les deux est que Kanafani
prend son destin en mains, en revanche, Mouawad exprime ses convictions dans la
pièce à travers Eitan qui reste déchiré entre les deux peuples, sans prendre
une décision claire ce qui le maintien dans un désarroi perpétuel. La souffrance
est ce que connait parfaitement bien ces deux peuples sémites depuis très
longtemps.
Conclusion
En somme, si Mouawad était resté au Liban et avait grandi dans la guerre
civile, il aurait probablement eu la même idée de finir sa pièce Tous des
oiseaux. Et, si Kanafani avait fui son pays pour vivre au Canada, il aurait
peut-être écrit sa nouvelle Retour à Haïfa et l’aurait finie par sa
vision de violence. Toutes ses hypothèses sont possibles, car l’atmosphère vécue
est celle qui produit l’être. Cependant, cette hypothèse reste discutable. En
effet, avec la nouvelle technologie de communication tout a basculé, la
mondialisation change la donne, cependant, il ne s’agit là que d’une hypothèse.
Kanafani est mort assassiné à cause de sa plume tranchante, Mouawad reprend le
flambeau et défend à sa façon une cause où le colonialisme de peuplement
continue. A.M
Bibliographie
Livres
Agier, Michel. 2002.Aux bords du
monde, les réfugiés. Paris : Édit. Flammarion.
Akaïchi, Mourida. 2005. Un
théâtre de voyage. Dix romans de Mohamed Dib et
Gassan Kanafani. Paris : L’Harmattan.
Memmi, Albert. 1985.Portrait du
colonisé, portrait du colonisateur. Paris : Gallimard.
Fanon, Frantz. 2002. Les damnés
de la terre. Paris : La Découverte & Syros.
Kanafani, Ghassan. 1997. Retour
à Haïfa et autres nouvelles, Trad. Jocelyne &
Abdellatif Laâbi. France
(Arles) : Actes sud.
Kanafani, Ghassan. 1977. Des
hommes dans le soleil, Trad. Michel Seurat. Paris : Édit.
Sindbad.
Mouawad, Wajdi. 2018. Tous des
oiseaux. Montréal : Leméac/Acte Sud.
Reinhart. Tanya.2003. Détruire
la Palestine. Les plans à long terme des faucons
israéliens. Montréal : Écosociété.
Roy, Raoul. 1977. Marxisme :
mépris des peuples colonisés ? Montréal : Éditions du
Franc-Canada.
Zertal, Idith. 2013. Les
seigneurs de la terre : histoire de la colonisation israélienne
des Territoires occupés. Paris : Éditions du Seuil.
Site Web
Garebian,
Keith Garebian. 2015.
« Wajdi Mouawad ». En ligne : https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/wajdi-mouawad
(Page consultée le 21 mars 2019)
Le site officiel de FPLP. 2015. En
ligne : http://alnorasnews.com/news/?p=363
(Page consultée le 21 mars 2019)
Le site officiel de l’ONU. 2007.
http://www.un.org/fr/rights/overview/themes/indigenous.shtml (Page consulté le 22 mars 2019)
Le site officiel de centre
national de ressources textuelle et lexicales. 2012. http://www.cnrtl.fr/definition/sionisme
(Page consulté le 24 mars 2019)