vendredi 21 octobre 2016

No Home Movie de Chantal Akerman



·       Introduction: 

Un documentaire de Chantal Akerman raconte l’histoire familiale à travers sa mère qui en est le personnage principal. Ce documentaire est  subdivisé comme suit, en sept chapitres[1] : vous savez toutes sortes de choses ; ici il n'y a pas de distance dans le monde ; je suis fier de vous ; nous avons pensé que nous étions en sécurité ici ; comme le monde est petit ; raconte-moi une histoire et je veux te voir chaque jour.
             On voyage avec elle dans le passé de sa famille, un couple juif qui échappa à la mort après avoir été empoisonné dans le centre de concentration d’Auschwitz pendant la Seconde Guerre mondiale et qui choisit de se réfugier en Belgique, à Bruxelles.
On suit Akerman à travers son dernier documentaire, sorti le 24 février 2016, dont la durée est d’une heure et cinquante-cinq minutes. On ne comprend bien l’histoire de cette famille qu’à la fin de ce récit émouvant, dans le chapitre : Je veux te voir chaque jour, lorsque la domestique hispanophone Maya s’assoie dans la cuisine avec Akerman et pose des questions personnelles, et là, on entend des détails sur cette famille.
·       Je veux te voir chaque jour
La cuisine fait partie centrale de ce long métrage, un lieu intime dont Akerman l’a utilisé dans son premier documentaire Saute ma vie, daté de 1968, et après presque cinq décennies, elle raconte une partie de l’histoire de sa famille dans ce lieu chaleureux. Le choix de cette place attire le spectateur et le sollicite vivement d’entrer dans le récit et de faire partie intégrale de cette famille émigrée. Dans plusieurs us et coutumes, la cuisine est un lieu sacré où on peut tout avouer et dévoiler, Akerman a compris ce secret dès le début de sa carrière et a décidé de l’insérer dans ses œuvres quand elle le pouvait. Dans ce chapitre, la caméra se concentre sur le visage de la domestique Maya et Akerman répond aux questions sans y apparaitre. Sa voix rauque et triste est paradoxalement vivante, elle essaie d’expliquer en langue espagnole à une personne qui n’a pas bien saisi la gravité de la situation de cette famille exilée. La domestique demande à Akerman :
-      Avez-vous des frères ?
-      No, j’ai seulement ma sœur Sylvaine. Répond Akerman
-      C’est vraiment triste.
-      Oui, c’est triste, mon père voulait trois, mais ma mère était fatiguée.
             C’est le début de la conversation entre les deux femmes installées dans la cuisine, Maya parlant un français cassé, mais compréhensible, par contre Akerman choisit de répondre en espagnol, elle cherche les mots dans sa tête pour bien transmettre son message. La domestique continue son interrogatoire :
-      Quelle est la nationalité de votre père ?
-      Il est belge, mais il est venu de Pologne. Réplique Akerman.   
-      Ah, c’est la Pologne.
-      Ma mère aussi.
-      Ta mère aussi est venue de Pologne ?
-      Ils ont fui la Pologne, parce que les polonais étaient durs.
-      C’est très dur la vie, peuple, c’est beaucoup de différents.
-      Ils se sont enfuis ici.
-      Ah !
                La domestique réitère son étonnement par des Ah étouffés, comme si elle se donnait un temps pour saisir le sens de ces paroles. Très vite le spectateur se voit emporté dans l’histoire émouvante de la famille d’Akerman. 
-      Mais après les SS les ont repris, puis ils les ont ramenés en Pologne.
-      Ah !
-      Au camp de concentration et pour cela ma mère est comme ça.
-      Ah. Oui !
-      À Auschwitz.
-      Ah, Juifs !
-      Mais, vous n’avez ni mari ni enfant, rien !
-      Non, seulement ma sœur Sylvaine.
                Dans le dernier passage de cette courte conversation, on saisit l’histoire épouvantable des parents d’Akerman, et la raison de la relation étroite entre cette dernière et sa mère. Ce rapport fort et poignant est illustré dans le deuxième chapitre : je suis fier de vous, lorsqu’Akerman raconte à sa mère (dans la cuisine aussi) à quel point était fière d’elle quand elle venait la récupérer de l’école.                                               
               De toute manière, la discussion entre Akerman et Maya est étrange, car l’une ne s’intéresse qu’aux questions superficielles : nationalité de père, de mère, mari, enfant, frère, etc… tandis que l’autre, Akerman, raconte avec beaucoup d’émotions le récit de sa famille et de sa mère qu’elle décrit de la manière suivante : pour ça, elle est comme ça ! La domestique pose ses questions avec un sourire aux lèvres, elle ne comprend pas la gravité de cette histoire, voire la souffrance qu’incarne cette famille depuis des décennies. Et, pour cette raison, son incompréhension continue en posant encore des questions banales sur la famille, sans demander une seule fois qu’est-ce que ça veut dire : Auschwitz ou un centre de concentration ou pour quelle raison la mère est comme ça ? En plus, aucun sentiment n’apparait sur le visage de Maya, une figure neutre ou plutôt indifférente, avec des yeux concentrés et fixés sur Akerman.                                                         
 Finalement, la caméra se déplace afin de mettre fin à ce documentaire qui raconte à travers cette histoire la douleur qui vraisemblablement va amener la réalisatrice à mettre fin à ses jours un an et demi après la mort de sa mère qui était sans aucun doute toute sa vie !

Bibliographie 

-      Saute ma ville, documentaire de 13 minutes, réalisation et scénario : Chantal Akerman, Belgique, 1968. https://www.youtube.com/watch?v=jx2RNzl-p3Q 
-      No home movie, documentaire, réalisation : Chantal Akerman, Belgique, 2016.


[1] Dans le DVD que j’ai visionné, le menu indique les sept chapitres du documentaire : No home movie.