· Introduction:
Un
documentaire de Chantal Akerman raconte l’histoire familiale à travers sa mère
qui en est le personnage principal. Ce documentaire est subdivisé comme suit, en sept chapitres[1] :
vous savez toutes sortes de choses ; ici il n'y a pas de distance dans
le monde ; je suis fier de vous ; nous avons pensé que nous étions en
sécurité ici ; comme le monde est petit ; raconte-moi une histoire et
je veux te voir chaque jour.
On
voyage avec elle dans le passé de sa famille, un couple juif qui échappa à la
mort après avoir été empoisonné dans le centre de concentration d’Auschwitz
pendant la Seconde Guerre mondiale et qui choisit de se réfugier en Belgique, à
Bruxelles.
On suit Akerman à travers son dernier
documentaire, sorti le 24 février 2016, dont la durée est d’une heure et
cinquante-cinq minutes. On ne comprend bien l’histoire de cette famille qu’à la
fin de ce récit émouvant, dans le chapitre : Je veux te voir chaque
jour, lorsque la domestique hispanophone Maya s’assoie dans la cuisine avec
Akerman et pose des questions personnelles, et là, on entend des détails sur
cette famille.
·
Je veux te voir chaque jour
La cuisine fait partie centrale de ce long métrage,
un lieu intime dont Akerman l’a utilisé dans son premier documentaire Saute
ma vie, daté de 1968, et après presque cinq décennies, elle raconte une
partie de l’histoire de sa famille dans ce lieu chaleureux. Le choix de cette
place attire le spectateur et le sollicite vivement d’entrer dans le récit et
de faire partie intégrale de cette famille émigrée. Dans plusieurs us et
coutumes, la cuisine est un lieu sacré où on peut tout avouer et dévoiler,
Akerman a compris ce secret dès le début de sa carrière et a décidé de l’insérer
dans ses œuvres quand elle le pouvait. Dans ce chapitre, la caméra se concentre
sur le visage de la domestique Maya et Akerman répond aux questions sans y
apparaitre. Sa voix rauque et triste est paradoxalement vivante, elle essaie d’expliquer
en langue espagnole à une personne qui n’a pas bien saisi la gravité de la
situation de cette famille exilée. La domestique demande à Akerman :
- Avez-vous des
frères ?
-
No, j’ai seulement ma sœur
Sylvaine. Répond Akerman
-
C’est vraiment triste.
- Oui, c’est triste, mon
père voulait trois, mais ma mère était fatiguée.
C’est le début de la
conversation entre les deux femmes installées dans la cuisine, Maya parlant un
français cassé, mais compréhensible, par contre Akerman choisit de répondre en
espagnol, elle cherche les mots dans sa tête pour bien transmettre son message.
La domestique continue son interrogatoire :
- Quelle est la
nationalité de votre père ?
-
Il est belge, mais il est venu de
Pologne. Réplique Akerman.
-
Ah, c’est la Pologne.
-
Ma mère aussi.
-
Ta mère aussi est venue de
Pologne ?
-
Ils ont fui la Pologne, parce que
les polonais étaient durs.
-
C’est très dur la vie, peuple,
c’est beaucoup de différents.
-
Ils se sont enfuis ici.
- Ah !
La domestique réitère
son étonnement par des Ah étouffés, comme si elle se donnait un temps pour
saisir le sens de ces paroles. Très vite le spectateur se voit emporté dans
l’histoire émouvante de la famille d’Akerman.
-
Mais après les SS les ont repris,
puis ils les ont ramenés en Pologne.
-
Ah !
-
Au camp de concentration et pour
cela ma mère est comme ça.
-
Ah. Oui !
-
À Auschwitz.
-
Ah, Juifs !
-
Mais, vous n’avez ni mari ni
enfant, rien !
- Non, seulement ma sœur
Sylvaine.
Dans le dernier
passage de cette courte conversation, on saisit l’histoire épouvantable des parents
d’Akerman, et la raison de la relation étroite entre cette dernière et sa mère.
Ce rapport fort et poignant est illustré dans le deuxième chapitre : je suis fier de vous, lorsqu’Akerman
raconte à sa mère (dans la cuisine aussi) à quel point était fière d’elle
quand elle venait la récupérer de l’école.
De toute manière, la discussion
entre Akerman et Maya est étrange, car l’une ne s’intéresse qu’aux questions superficielles :
nationalité de père, de mère, mari, enfant, frère, etc… tandis que l’autre,
Akerman, raconte avec beaucoup d’émotions le récit de sa famille et de sa
mère qu’elle décrit de la manière suivante : pour ça, elle est comme
ça ! La domestique pose ses questions avec un sourire aux lèvres, elle
ne comprend pas la gravité de cette histoire, voire la souffrance qu’incarne
cette famille depuis des décennies. Et, pour cette raison, son incompréhension
continue en posant encore des questions banales sur la famille, sans demander
une seule fois qu’est-ce que ça veut dire : Auschwitz ou un centre de
concentration ou pour quelle raison la mère est comme ça ? En plus, aucun sentiment n’apparait sur le visage
de Maya, une figure neutre ou plutôt indifférente, avec des yeux concentrés et
fixés sur Akerman.
Finalement, la caméra se déplace
afin de mettre fin à ce documentaire qui raconte à travers cette histoire
la douleur qui vraisemblablement va amener la réalisatrice à mettre fin à ses
jours un an et demi après la mort de sa mère qui était sans aucun doute toute
sa vie !
Bibliographie
-
Saute ma ville, documentaire de
13 minutes, réalisation et scénario : Chantal Akerman, Belgique, 1968. https://www.youtube.com/watch?v=jx2RNzl-p3Q
-
No home movie, documentaire, réalisation
: Chantal Akerman, Belgique, 2016.
[1] Dans le DVD que j’ai
visionné, le menu indique les sept chapitres du documentaire : No home movie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.