Lorsque les États africains ont accédé à l’indépendance, l’espoir est né parmi les peuples et les leaders de l’indépendance de différents pays de construire des pays : libres, forts, prospères et bien développés.
Deux décennies après l’échec du développement, de l’implantation de l’autoritarisme et de l’émergence du régime du parti unique…des mécontentements massifs ont émergé dans une Afrique qui souffre à cause de ses dirigeants.
En effet, à la fin de la décennie des années 80, la troisième vague démocratique débarque en Afrique afin de mettre en œuvre le changement voulu par les populations africaines, une ère démocratique, de liberté et en adéquation avec leurs volontés.
Deux articles traitent de la démocratie en Afrique postcoloniale afin de mettre la lumière sur ce qui s’est passé à l’aube et après le passage de la troisième vague de démocratisation venue après la Deuxième Guerre mondiale.
Par: Adam Mira
Le premier article extraversion, vulnerability to donors and liberalization des auteurs Caryn Peiffer et Pierre Englebert analyse la relation entre l’extraversion et les donateurs étrangers, cette relation qui a un impact sur la démocratie et sur sa consolidation en Afrique subsaharienne. Il touche aussi deux périodes : la première entre 1989-1995 et la deuxième entre 1995-2001.
L’hypothèse de cette étude est que : lorsqu’un portefeuille d’extraversion d’un régime est plus dépendant des donateurs étrangers, le régime contrôle moins les options de son portefeuille et il est plus susceptible d'être vulnérable aux donateurs. Cependant, lorsque le régime africain possède des ressources naturelles, son portefeuille d’extraversion est plus contrôlé et sa dépendance vis-à-vis des donateurs est moins importante.
En revanche, le second Africa uprising, Popular protest and political change des auteurs Adam Branch et Zachariah Mampilly analyse la situation en Afrique après la vague de démocratisation des années 80, en ce qui concerne la réforme timide exécutée dans le tiers des pays africains face à la marée humaine des populations qui manifestaient contre l’austérité imposée par les donateurs étrangers et la limitation de la réforme.
L’hypothèse de l’article se concentre sur :
- La manière dont les mouvements de protestation qui ont motivé la transition ont été constitués.
- La manière dont les dilemmes internes et externes auxquels ils ont été confrontés ont façonné leurs capacités à concrétiser efficacement leurs revendications ou à révéler de nouvelles possibilités politiques.
· Réussite ou pression étrangère
Selon Adam Branch et Zachariah Mampilly, les manifestants ont réussi dans certains pays africains à voir la lumière au bout du tunnel. En effet, des régimes sont tombés et ont accepté des changements. Cependant, la plus belleréussite vient du Bénin où la société civile et politique s’est entendue à organiser une conférence nationale qui contient tous les clivages de la société et qui a débouché sur un multipartisme afin d’élire un président démocratiquement et un parlement qui représentent le peuple béninois.
Par contre, Caryn Peiffer et Pierre Englebert croient que c’est la France qui a accepté de payer les salaires des fonctionnaires de l’État béninois et qui a imposé des conditions afin de déclencher le processus de la démocratie. C’est-à-dire, un État qui a un portefeuille d’extraversion vulnérable accepte l’ingérence extérieure et il est tributaire desdonateurs. Et, lorsque l’État ne possède pas assez de ressources naturelles, il est faible et fragile face aux donateurs étrangers.
· La démocratie au service des élites
Après l’indépendance, selon Adam Branch et Zachariah Mampilly, les dirigeants africains ont accordé des bourses d’études et des emplois aux Africains qui sont devenus la colonne verticale de la société civile et du régime aussi. Alors, l’État est devenu le grand employeur et il a une corrélation étroite avec ses employés. Cette formule est le contraire de ce qui se trouve en occident où les privés jouent un rôle majeur dans le développement économique. Par conséquent, pour rester au pouvoir, il faut avoir une corrélation étroite entre la société civile et la société politique. C’est ce rapport qui débouche sur la corruption et le clientélisme à l’image de l’Afrique postcoloniale. En sus du clivage dans la nouvelle Afrique entre les zones citadines qui profitent de la situation et les zones rurales qui sont loin du pouvoir central. Ainsi, les habitants quittent leurs villages dans le but de s’installer dans les zones urbaines en rêvant de sortir de leur pauvreté et de partager les miettes distribuées par le gouvernement afin d’acheter la paix sociale.
En revanche, Caryn Peiffer et Pierre Englebert explique que la démocratisation initiale menée après la troisième vague a touché les pays africains. Cependant, les élites ont profité de cette vague pour rester au pouvoir et faire les équilibres entre leurs intérêts personnels et les intérêts des donateurs. Il faut noter trois groupes qui se sont composés à la suite de cette vague :
- Un groupe de pays libéraux (Botswana, Îles Maurice, Sénégal, Namibie et l’Afrique du Sud).
- Un groupe de pays non libéraux (Angola, Burkina Faso, République centrafricaine, Tchad, Comores, Congo-Brazzaville, Éthiopie, Gabon, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Lesotho, Madagascar, Mauritanie, Niger, Tanzanie, Togo, Ouganda et Zambie. Depuis lors, le Ghana seul est devenu démocratique et, avec la Tanzanie, est l’un des deux seuls pays de ce groupe à montrer une amélioration après la transition initiale).
- Un groupe de pays libres partiellement (Bénin, Cap-Vert, Malawi, Mali, Mozambique, Sao Tomé-et-Principe et les Seychelles) ces pays ont fait un grand effort pour cristalliser le saut vers la démocratie et garantir le processus vers un pays solidement démocratique.
- Un dernier groupe qui a une tendance similaire est visible dans la catégorie des pays qui n’affichent aucun changement net au cours de la période initiale (quelques-uns d’entre eux affichent un léger changement positif entre 1989 et 1992, suivi d’un renversement avant 1995). De manière générale, rien ne leur arrive par la suite non plus. Ces pays sont le Burundi, le Cameroun, le Congo-Kinshasa, la Côte d'Ivoire, Djibouti, la Guinée équatoriale, la Somalie, le Soudan, le Swaziland et le Zimbabwe !
Cela dit, il y a plusieurs Afriques, et chaque pays possède sa situation particulière, et chaque cas doit être étudié selon son expérience.
· Changer le changement
Après l’effondrement des États africains endettés, selon Adam Branch et Zachariah Mampilly, chaque composant de la société civile et de la société politique cherche à sauver ses intérêts. C’est le cas des étudiants, dessyndicats et surtout des ONG qui reçoivent leurs budgets des donateurs en prêchant la démocratie.
Ces grands donateurs sont : la Banque mondiale et le Fonds monétaire mondial (FMI) qui imposent leurs conditions au régime menacé par les manifestants afin de donner à l’opposition un rôle dans le nouveau régime politique. D’ailleurs, van de Walle écrit : « plus de la moitié des nations d'Afrique subsaharienne étaient effectivement en faillite et la plupart des autres étaient soutenus par le capital public occidental ».
La voie vers le pouvoir est alors libre pour les opposants qui emboitent le pas à l’ancien régime. C’est le cas du Niger, un exemple important d’une population qui s’est révoltée en 1990 contre le régime militaire au pouvoir depuis 1974 par un coup d’État. Le régime a profité durant deux décennies de la découverte de l’uranium. Il en a distribué les revenus aux citadins, aux syndicats et aux employés de l’État ainsi qu’aux étudiants, par contre les zones rurales ont été totalement négligées.
Alors, les manifestations de 1990 ont débouché sur une conférence nationale (le Niger emboite le pas au Bénin). Après discussions et dialogues, le Niger organise des élections en 1993 auxquelles participent de multipartis et des soi-disant représentants de tous les clivages de la population. Finalement, la conférence nationale prend sa légitimité de la population sans rien changer, les participants à la conférence ont gardé leurs privilèges et les chefs des zones rurales ont conclu un accord avec l’État à Niamey pour garantir les votes des ruraux. Cependant, le clientélisme, la corruption, le régionalisme continuent et les gens disent : il faut changer le changement !
Caryn Peiffer et Pierre Englebert soutient cette idée, les régimes hybrides qui profitent des ressources naturelles, leurs portefeuilles d’extraversion sont moins faibles devant les donateurs, ils possèdent un équilibre entre la demande des donateurs de démocratiser le pays et leurs intérêts de rester au pouvoir. En quelque sorte, ils instrumentalisent la démocratie et continuent de rester au pouvoir. Grâce à leur portefeuille d’extraversion contrôlé, ils arrivent à échapper à la pression occidentale, et ces régimes hybrides finissent par rester.
En plus, un nouvel événement vient aider les régimes hybrides au détriment de la démocratie, c’est le déclenchement de la guerre contre le terrorisme après 2001, certains pays africains ont profité de cette situation pour ne pas démocratiser leur pays. C’est le cas de la Mauritanie qui a un problème avec les djihadistes, alors, elle reçoit l’aide des donateurs sans avoir de pression afin de changer de régime. Pour les dirigeants africains, il est toujours facile de trouver des justifications afin de rester au pouvoir en conservant leurs relations avec les donateurs.
· Empirique et théorique
Caryn Peiffer et Pierre Englebert présentent leur recherche en tant que la première qui étudie l’approche d’extraversion et sa relation avec les donateurs, ils arrivent à une théorie importante selon laquelle cette relation est corrélée à la situation du régime africain. En effet, si ce dernier manque de ressources naturelles, il est tributaire de donateurs et l’inverse est vrai.
En revanche, il est nécessaire de parler de la particularité de la démocratie africaine, certains parlent de régime mixte ou hybride, d’autres d’un régime qui contient le moderne et la tradition. Adam Branch et Zachariah Mampilly écrivent :
« La démocratie n’est pas seulement une question formelle de multipartisme ou d’institutions libérales. Au lieu de cela, la démocratie dans les contextes africains devrait impliquer une participation politique populaire basée sur un agenda national qui transcende les clivages entre société civile et société politique à la fois entre les zones urbaines et entre les zones rurales et urbaines. Sinon, même le programme de réforme le plus libéral restera essentiellement non démocratique. »
La particularité de la démocratie africaine nous amène à comprendre la transformation graduelle de la société africaine avec, sans doute, la conviction qu’il y a des Afriques.
Par ailleurs, Samuel Huntington écrit en 1984 que « à quelques exceptions près, les limites du développement démocratique avaient bien été atteintes », cependant, il n'incluait pas les pays africains parmi les exceptions probables. Car selon lui « La plupart des pays africains ont peu de chances, en raison de leur pauvreté ou de la violence de leur politique, d'aller dans la direction de la démocratie. » Il insiste aussi sur la particularité de l’Afrique : « Les causes de la démocratisation sont variées et leur signification dans le temps est susceptible de varier considérablement. » Une vision qui soutient la théorie que la démocratie est liée au revenu élevé par habitation.
La vision sur l’Afrique est un peu pessimiste, comme le dit le politologue Giuseppe Di Palma: « L'Afrique dans son ensemble » doit être « sombre ». En plus, Richard Joseph écrit dans son article : Democratization in Africa after 1989 Comparative and Theoretical Perspectives « la tendance dans les États africains a pris la forme d'une compétition entre les communautés plutôt que des individus, des partis et des sous-unités administratives. » Même, il continue à critiquer la sévérité de la Banque mondiale et celle du FMI qui imposent des conditions sévères afin de démocratiser l’Afrique. Cependant, avec des conditions très sévères, les entreprises internationales perdent leur popularité et aussi les hommes d’affaires occidentaux quittent les zones pétrolières et les mines par peur de perdre leurs investissements.
Dans tous les cas, les donateurs restent impopulaires lorsqu’ils imposent des conditions qui atteignent en quelque sorte à la souveraineté des pays. Bien que la démocratie à la manière occidentale soit acceptée dans certaines zones, cependant, il reste toujours une touche locale qui est ajoutée à cette démocratie qui vient de l’Europe.
Par ailleurs, il est clair que les donateurs cherchent plus leurs intérêts qu’imposer la démocratisation d’un pays. Comme l’Union européenne qui veut avoir affaire avec l’Union du Maghreb arabe en tant qu’une seule unité économique sans dépenser beaucoup d’effort afin d’imposer un plan de changement démocratique, en quelque sorte l’économie est plus importante que la démocratie !
· Critique
Caryn Peiffer et Pierre Englebert écrient que le président malien Moussa Traoré a quitté le pouvoir en 1991 sur la pression française, bien que Traoré soit très connu en tant qu’allié du régime algérien et qu’il reçoit de ce dernier un budget annuel. Par conséquent, la chute de Traoré est liée à cette époque à la situation algérienne précaire politiquement et économiquement. C’est ce qui a obligé le régime algérien à lâcher son allié, comme il a fait d’ailleurs avec le Polisario afin de signer un accord de cessé le feu avec le Maroc en 1991.
Il est intéressant de signaler que les chercheurs basent souvent leurs recherches sur des théories, le travail sur le terrain leur manque, car la politique dans les pays en voie de développement se fait dans les coulisses, et il est très difficile d’analyser une situation par rapport à une théorie. Comme le cas du président malien Moussa Traoré qui aurait laissé son pouvoir sous la pression française après 22 ans de gouvernance, mais en fait se serait à cause du manque de ressources venant de l’Algérie. Par ailleurs, les académies militaires en Égypte, en Algérie et au Maroc reçoivent chaque année des dizaines d’étudiants africains qui seront un jour des généraux et des hommes d’État. Ces pays cherchent à influencer la décision africaine pour leurs propres intérêts comme le cas de la cause du Polisario et ce qui concerne le conflit sur l’eau entre l’Égypte et l’Éthiopie.
Il est à noter que l’ex-président algérien Abdelaziz Bouteflika a effacé deux milliards de dollars américains de dette sur des pays africains, pour que l’influence algérienne sur l’Afrique reste forte, bien que cette décision soit violemment critiquée par le peuple algérien qui n’a pas l’habitude de faire la charité médiatiquement.
Cependant, il reste devant l’Afrique un long chemin afin de se libérer, ensuite à accéder à la démocratie. Selon les deux articles étudiés de ce texte : neuf pays africains qui ont accédé à la démocratie après 1990 sont restés démocratiques. 23 autres pays sont partiellement libres et 16 autres non libres qui restent en général stables jusqu’en 2011.
Comme Larry Diamond écrit : le pouvoir des donateurs extérieurs est de faire pression pour des réformes à la fois économiques et politiques et qu’elles « n’était nulle part plus grandes qu’en Afrique ». De plus, le pouvoir de ces donateurs est « d'induire un changement démocratique ... par le biais de la conditionnalité de l'aide est directement proportionnel à la dépendance des bénéficiaires ou débiteurs de l'aide à leur égard et à l'unité de la communauté des donateurs. »
· Conclusion
À l’aube de 2020 et après des décennies suite à l’indépendance des pays africains, le chemin reste encore très long vers la démocratie de ce continent. En effet, les défis sont nombreux : vaincre la corruption, éliminer les épidémies et la pauvreté, faire gloire à l’éducation, empêcher les jeunes gens négligés par tous les régimes de se jeter à la mer pour avoir un espoir de l’autre côté du continent et finalement donner au terme citoyen un sens pour que l’individu africain sente qu’il est un être humain à part entière.
Cette image sombre est le résultat d’une expérience amère sur le terrain, car les dirigeants dans le monde en voie de développement éduquent leur armée et leur police à mater la population qui est considérée comme le premier ennemi du pouvoir. Et, pour cette raison, la violence est extrême pendant chaque affrontement qui suit des élections. Certes, certains pays africains ont commencé leur libération et ont débouché sur une démocratie, mais ces démarches restent fragiles et pourraient subir une rupture inattendue par l’intervention d’une personne ambitieuse et ayant soif de pouvoir qui ferait basculer à nouveau le pays sous un régime totalitaire.
L’Afrique est particulière et possède l’expérience pour fonder un régime harmonieux entre tradition et modernité. Certains islamistes algériens ont même proposé le terme shoracratie, c’est-à-dire le mélange entre la shora, le conseil musulman, et la démocratie européenne.
Finalement, les pays qui sont sortis de leurs situations difficiles ont compté sur leurs peuples et leurs ressources, l’Afrique possède les ressources naturelles et humaines afin de se construire sans demander l’aide de personne, lorsque l’Afrique comprendra un jour cette équation, l’Afrique deviendra forte, libre, indépendante et surtout démocrate.
Livres
Adam, Branch& Zachariah Mampilly. 2015. Africa Uprising: Popular protest and political change.
London: édit. Zed Books, in association with International African Institute, Royal
African Society, World Peace Foundation.
Harari, Yuval Noah. 2017. Homo deus, Une brèe histoire de l’avenir. Édit. Albin Michel.
Huntington, Samuel P. 2000. Le choc des civilisations. Paris : édits. Odilejacob.
Gazibo, Mamoudou et Céline Thiriot (sous dir.).2009. Le politique en Afrique. État des débats et
pistes de recherche. Paris : édits. Karthala.
Articles
Peiffer, Caryn & Pierre Englebert.2012. Extraversion, vulnerability to donors, and political liberalization in
Africa. African Affairs, Volume 111, Issue 444, July 2012, Pages 355–378,
Joseph, Richard.1997. Democratization in Africa after 1989: Comparative and Theoretical Perspectives.
Comparative Politics. Vol. 29, No. 3, Transitions to Democracy: A Special Issue in Memory of
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