1.Introduction :
Par: Adam MIRA
Ghassan Kanafani (1936-1972)
est un écrivain qui a brandi sa plume comme une arme afin de défendre sa cause,
celle de son pays, la Palestine. Il a été assassiné par le Mossad israélien pour
ses écrits.
La nouvelle Retour
à Haïfa est sa dernière inspiration et est un testament littéraire et
politique de l’auteur assassiné.
Ce texte est
l’histoire de tous les Palestiniens qui ont perdu leur patrie, leur terre, leur
identité et qui sont à la recherche d’une solution à leur malheur et comme ceux
qui sont restés au pays, ils vivent avec leur passé, leurs souvenirs en
attendant un dénouement à une situation complexe qui tarde à venir.
Retour à Haïfa prêche le refus de
s’assimiler au colonisateur, et présente le chemin de la violence comme le seul
outil possible afin de libérer la Palestine, de récupérer la culture et
l’identité d’un peuple exilé et colonisé.
Cette nouvelle offre l’occasion
de mettre en avant plusieurs concepts étudiés au cours de Littérature et
théorie de la culture, surtout : la colonisation, l’essentialisme
identitaire, l’acculturation et la
décolonisation, l’image de l’autre et son autoreprésentation.
Nous pouvons rejoindre
Fanon et Memmi dans des passages, Michel Agier et Édouard Saïd dans d’autres.
Mon travail est d’effectuer
des recherches dans les écrits étudiés pendant cette session afin
d’analyser, de résoudre et de répondre aux questions suivantes de ma problématique :
quelle est l’identité d’un exilé ? Quel est le regard du colonisateur envers
le colonisé ? Pourquoi la violence est-elle le seul chemin à
choisir ?
La nouvelle Retour à Haïfa raconte l’histoire d’un
couple palestinien qui regagne son pays la Palestine colonisée après deux
défaites de 1948 et de 1967. Le lendemain de cette dernière, c’est le moment
pour le couple de retourner à leur ville natale pour récupérer l’enfant oublié
pendant sa fuite précipitée vingt ans auparavant. À l’arrivée du couple à la maison
abandonnée, une famille juive l’occupe, elle a adopté aussi l’enfant oublié
Khaldoun qui a pris son nouveau patronyme Dov et qui sert dans l’armée
israélienne. La rencontre déchirante entre les parents et leur fils tourne très
mal, par conséquent, le père décide de prendre son sort en main par la violence.
2. Définitions :
Trois termes importants
sont à définir : la violence, l’assimilation, la culture et
l’identité. Selon le Larousse, « la violence est un caractère de ce
qui se manifeste, se produit ou produit ses effets avec une force intense,
brutale et souvent destructrice. Ou ensemble des actes caractérisés par des
abus de la force physique, des utilisations d'armes, des relations d'une
extrême agressivité.» Selon le protagoniste de la nouvelle Retour à Haïfa, qui est le
père, celui-ci décide d’utiliser la voie de
la lutte armée comme seule alternative afin de récupérer ce qu’il a perdu. D’ailleurs, Kanafani était le porte-parole
du mouvement palestinien de tendance extrême gauche Le Front populaire de
libération de la Palestine (FPLP), cette mouvance ayant sa devise : « La
violence révolutionnaire est le seul chemin pour libérer la Palestine.» Quant à l'assimilation est «intégrer quelqu'un, une minorité à un groupe social, lui
faire prendre les caractères de celui-ci.» Dans ce cas, le
colonisateur oblige à travers des subterfuges d’assimiler les Palestiniens, les
autochtones, comme le fils abandonné dans la nouvelle. Et, la culture est :
«des communautés qui pratiquent la même langue, habitent le territoire, ont
certaines mémoires communes[1].» Finalement, l’identité collective : « Est
une vision de la vie d’un groupe ou d’un peuple.[2]» Cette
définition nous amène à parler de l’image de l’autre, de l’identité
essentialiste et des stéréotypes qui orientent la vision de chaque identité,
principalement entre colonisateur et colonisé, tel est notre cas dans cette
recherche.
3. Détruire une identité :
Une mise en scène
orchestrée par l’auteur afin d’imprégner le lecteur de l’atmosphère
de l’époque pour comprendre la situation de l’orient, et celle de ce couple qui
a dû attendre ardemment deux décennies pour pouvoir entreprendre ce voyage de
retour vers sa patrie perdue et colonisée.
·
3-A Effacer une identité :
L’auteur glisse
rapidement une phrase afin de pointer du doigt comment le vainqueur a effacé
la trace de l’identité arabo-palestinienne des lieux en changeant tout de suite les noms des places
colonisées :
«… Vingt ans avant s’appela Marj Bani Amir[3]…»
À cause de la décision des Nations-Unis en 1947
permettant la création d’un état juif en Palestine, il en a découlé le remplacement
du peuple Palestinien par un autre, les sionistes juifs. Ainsi, le colonisateur
veut effacer l’identité du pays colonisé pour créer une nouvelle identité,
celle qui est à son image.
« La Palestine
arabe a été détruite en 1948, et ses habitants, à l’exception de quelque cent vingt
mille âmes, en ont été chassés au cours d’un terrifiant exode général : un
nouvel État juif, Israël, est venu au monde.[4]»
En l’espace de très
peu de temps, les milices terroristes sionistes ont chassé des dizaines de milliers
de palestiniens par la force et la violence, créant ainsi un peuple exilé,
déchiré qui a perdu ses repères et qui a pris longtemps afin de prendre son
sort en main. L’exilé forcé ou le réfugié perd sa boussole, abasourdi il est
toujours à la recherche de quelque chose lié avec son passé, il est tout le
temps en état de nervosité, car il ne trouve pas ce qu’il a perdu, par
conséquent, il cherche toujours. Michel Agier dit :
« L’exode dans la guerre n’est pas la
simple migration d’un lieu à un autre. Mieux vaudrait dire d’emblée que les
réfugiés ne sont pas des migrants. Non seulement ils n’ont pas choisi d’être
mobiles, mais en outre leur exil prolonge les violences, les massacres et les
peurs qui l’ont provoqué et qui ont redéfini leur identité le plus intime,[5]».
·
3-B : Les Palestiniens se défendent :
Lorsque les Palestiniens
se sont réveillés de tant de défaites, des ans après, ils commencent à
organiser leur défense afin de préserver leur culture et leur identité.
D’ailleurs, le seul peuple qui nomme sa nourriture, sa culture, sa danse folklorique,
etc. aux noms de leurs villes, car les Israéliens volent activement l’identité
palestinienne pour que le monde oublie la Palestine et son peuple. Par
conséquent, les Palestiniens ont leur fromage d’Acre (جبن عكاوي) au nom de la ville Aka et Knafa de Naplouse (كنافة
نابلسية) au nom de
la ville de Naplouse, etc., ils mènent en réalité une guerre sur tous les fronts afin de défendre et de préserver leur
identité. Kanafani saisit bien ce détail et il insiste dans chacun de ces
écrits sur cet aspect. Il a d’ailleurs créé des personnages comme Om
Saad, le symbole de la mère palestinienne, afin qu’elle reste un repère pour ce
peuple exilé, arraché à sa terre par la force et la violence. Il rappelle aussi le complot international
tel que le célèbre décret britannique de Balfour daté du deux novembre 1917 qui
promettait aux juifs la création d’un état en Palestine.
4.
Le cliché et le
stéréotype :
La rencontre
entre les parents et leur fils est une confrontation entre colonisé et
colonisateur, chacun des deux possède déjà une image de l’autre, une vision
difficile à rectifier.
·
4-A. L’image du
colonisé :
Le discours
entre Khaldoun qui est devenu Dov et son père biologique Saïd montre l’image
négative inscrite dans la conscience de ce garçon assimilé aux colonisateurs :
« Quand j’ai
su que vous étiez arabes, je n’ai pas arrêté de me demander : Comment un
père et une mère peuvent-ils abandonner leur fils de cinq mois et s’enfuir ?»
et il ajoute : « Je suis ici, cette femme est ma mère ; vous deux,
je ne vous connais pas et je ne ressens pour vous aucun sentiment particulier.[6]»
C’est une image
négative associée au colonisé ou au réfugié, celle d’une personne irresponsable,
retardée et incapable de protéger ni sa famille ni qui se soit. Il ne mérite
même pas de trouver une justification à son comportement, car il est en réalité
désavoué, déshumanisé totalement par le colonisateur. D’ailleurs, selon lui, le
colonisé ou l’exilé à lui seul appartient la responsabilité de sa situation
économique, politique, sociale, etc. Albert Memmi décrit très bien cette
situation :
«…rien ne
pourrait mieux justifier le dénuement du colonisé que son oisiveté.[7]»
Le colonisé est
incapable d’assumer la moindre responsabilité, Memmi continue :
« … Le
colonisé, quelque fonction qu’il assume, quelque zèle qu’il y déploie, ne
serait jamais autre que paresseux.[8]»
Nous protégeons
le colonisé en le privant de responsabilité, et Memmi tranche :
« … Le
colonisé est un arriéré pervers, aux instincts mauvais, voleur, un peu
sadique,…, il faut bien se défendre contre les dangereuses sottises d’un
irresponsable ; et aussi, souci méritoire, le défendre contre lui-même ![9]»
Dans ce cas, le
colonisateur tombe dans le piège de l’identité essentialiste, il catégorise le
colonisé selon un stéréotype, le moule et le façonne irréversiblement à sa
manière de penser.
·
4-B. Le moule
et l’identité figée :
Michel Agier
définit la pensée de Dov à propos de ses parents, ce fils abandonné incarne
parfaitement la personnalité du colonisateur, celui qui condamne le colonisé
qui est son père et sa mère sans avoir aucune culpabilité de les traiter comme
des individus irresponsables :
« À croire que les identités des autres peuvent être
définies et figées une fois pour toutes et de forme absolue, hors du contexte
de relations dans lequel elles sont dites
à un moment donné. Ce déni d’actualité a pour effet de les
« essentialiser » dans un langage racial (« Noirs »),
ethnique (« Roms »), religieux (« musulmans »), voire
urbain (« ghetto »), ou tout autre encore à inventer.[10]»
Dans
la même voie, le professeur Jan Berting analyse le sens de stéréotype de
l’Autre :
« … Se restreint souvent à leur
description, à la détermination de leurs fonctions pour un groupe quelconque et
à leur rôle dans l’interaction entre des groupes porteurs des stéréotypes spécifiques.[11]»
Par conséquent, la rencontre qui tourne mal montre que le colonisé, qui a en
effet perdu tout : son fils, sa terre, sa culture, son passé et sa patrie,
cherche une solution digne à cette posture délicate, il ne trouve que la violence
qui est le seul dénouement possible afin de répondre à l’humiliation et à l’ignoble
moment vécu avec Khaldoun-Dov.
5.
La violence révolutionnaire :
En ce moment fatidique, le protagoniste de la nouvelle Retour à Haïfa
tranche et prend son sort en main. Pour lui, il faut donner une leçon à
l’ennemi. Mao Tsé-Toung dit :
« Entre ennemis et nous, il nous faut tracer une ligne de démarcation
bien nette.[12]»
·
5-A. l’émancipation :
À la fin de la rencontre entre Dov et Saïd (le père biologique), ce dernier
tranche et dit :
« Vous pouvez rester chez nous provisoirement ; mais seule une
guerre pourra régler
le problème.[13]»
Pendant le voyage du retour, Saïd se tut longtemps avant d’avouer à sa
femme son souhait que son fils cadet rejoigne la résistance
palestinienne :
« Je souhaite que Khalid soit parti…pendant notre absence.[14]»
La décolonisation est un acte lucide afin que le colonisé reprenne sa
liberté, ce geste crée un être nouveau libre et qui tient son sort entre ses
mains. Frantz Fanon dit :
«La décolonisation
ne passe jamais inaperçue, car elle porte sur l’être, elle modifie
fondamentalement l’être, elle transforme des spectateurs écrasés d’inessentialité
en acteurs privilégiés, saisis de façons quasi grandiose par le faisceau de
l’histoire. Elle introduit dans l’être un rythme propre, apporté par les
nouveaux hommes, un nouveau langage, une nouvelle humanité. La décolonisation
est véritablement la création d’hommes nouveaux[15].»
La seule voie afin
d’être émancipé et libre c’est la violence, et pour former une société, un
État, un pays, la violence est le seul chemin. Fanon continue :
«… Les fameux échelons qui
définissent une société organisée, ne peut triompher que si on jette dans la
balance tous les moyens, y compris bien sûr, la violence.[16]»
Puis, il ajoute :
« Le colonisé qui décide de réaliser ce
programme, de s’en faire le moteur, est préparé de tout temps à la violence,…,
il est clair pour lui que ce monde rétréci, semé d’interdictions, ne peut être remis en question que
par la violence absolue.[17]»
· B-5. une génération
révolutionnaire :
Saïd est la voie d’un courant palestinien actif pendant les années 1960,
cette génération d’extrême gauche pense que la violence armée est le chemin absolu
afin de libérer la Palestine. Des mouvements révolutionnaires palestiniens
commencent leurs activités militaires depuis 1956, c’est deux ans après le
déclenchement de la Révolution algérienne. D’ailleurs, les leaders palestiniens
de cette époque dont Salah Khalaf alias Abou Iyad, un cofondateur de la
mouvance Fatah, insiste dans son livre Un palestinien sans identité
que la Révolution algérienne, qui a pris la violence comme outil de libération,
est un exemple à suivre. À cette date, la résistance
palestinienne débute et exécute
des opérations militaires contre la colonisation israélienne.
En outre, Fanon est devenu un auteur incontournable pour les gauchistes
afin d’intégrer les rangs des fédayins palestiniens. Fanon dit :
« Faire sauter le monde colonial est désormais une image d’action très
claire, très compréhensible et pouvant être reprise par chacun des individus
constituant le peuple colonisé. Disloquer le monde colonial ne signifie pas
qu’après l’abolition des frontières on aménagera des voies de passage entre les
deux zones. Détruire le monde colonial c’est ni plus ni moins abolir une zone,
l’enfouir au plus profond du sol ou l’expulser du territoire.[18]»
6. Conclusion :
En somme, Kanafani a
perdu sa vie pour sa cause, comme beaucoup d’intellectuels palestiniens qui ne
savent même pas utiliser une arme, néanmoins leur force est leur plume qui fait
trembler le colonisateur qui a peur de tout ce qui enracine
l’histoire et la mémoire du colonisé.
Très souvent un mot
est plus fort qu’une arme, sa force de frappe ébranle les consciences. Cependant, la
violence reste pour beaucoup une voie absolue afin de réaliser leur rêve, de
récupérer leur identité et de préserver leur culture, et surtout de retourner à
leur patrie.
La vie continue pour certains,
s’arrête pour d'autres, néanmoins, le rêve de retourner à Haïfa reste
immortel !
7.
Bibliographie :
1.
Michel Agier, La condition cosmopolite : l'anthropologie à l'épreuve
du piège identitaire, Édit. La Découverte, France, Paris, 2013 ;
2.
Coordonné par Bruno Olivier, Les identités collectives à l’heure de la
mondialisation, Edit. CNRS, France, Paris, 2009 ;
3.
Ghassan Kanafani, Retour à Haïfa et autres nouvelles, Tard. Jocelyne &
Abdellatif Laâbi, Édit. Sindbad, France, Arles, 1997 ;
4.
Albert Memmi, portrait du colonisé, portait du colonisateur, Édit.
Gallimard, France, Paris, 1985 ;
5.
Edward Saïd, Entre guerre et paix, Édit. Arléa, France, Paris, 1997 ;
6.
Tzvetan Todorov, Nous et les autres La réflexion français sur la diversité
humaine, Édit. du Seuil, France, Paris, 1989 ;
7.
Émile
Marenssin, La« Bande à Baader» ou la violence révolutionnaire, Édit. Champ
libre, France, Paris, 1972 ;
8.
Frantz Fanon,
Les damnés de la terre, Édit. LA Découverte & Syros, France, Paris, 2002 ;
9.
Michel Agier,
Aux bords du monde, les réfugiés, Édit. Flammarion, France, Paris, 2002.
[1] .Tzvetan Todorov, Nous et les autres La réflexion français sur la
diversité humaine, Édit du Seuil, France, Paris, 1989, p.237
[2] Coordonné par Bruno Olivier, Les identités collectives à l’heure de la
mondialisation, Edit. CNRS, France, Paris. 2009, p.63
[3] Ghassan Kanafani, Retour
à Haïfa et autres nouvelles, Tard. Jocelyne & Abdellatif Laâbi, Édit.
Sindbad, France, Arles.1997, p.86
[4] Edward Saïd, Entre guerre et paix, Édition Arléa, France, Paris. 1997, p.15.
[5] Michel Agier, Aux bords du monde, les réfugiés, Édit. Flammarion,
France, Paris, 2002, p.47
[6] Ghassan Kanafani, Retour
à Haïfa et autres nouvelles, Tard. Jocelyne & Abdellatif Laâbi, Édit.
Sindbad, France, Arles.1997, p.120
[7] Albert Memmi, portrait du colonisé, portait du colonisateur, Édit.
Gallimard, France, Paris. 1985. P.99
[8] Ibid., p.100
[9] Ibid., p.102
[10] Michel Agier, La condition cosmopolite : l'anthropologie à
l'épreuve du piège identitaire, Édit. La Découverte, France, Paris, 2013, p. 129-130
[11] Coordonné par Bruno Olivier, Les identités collectives à l’heure de la
mondialisation, Edit. CNRS, France, Paris. 2009, p.57
[12] Émile Marenssin, La« Bande à Baader» ou la violence révolutionnaire,
Édit. Champ libre, France, Paris, 1972, p.97
[13] Ghassan Kanafani, Retour à Haïfa et autres nouvelles, Tard. Jocelyne &
Abdellatif Laâbi, Édit. Sindbad, France, Arles, 1997, p.126
[14] Ibid., p.127
[15] Frantz Fanon, Les damnés de la
terre, Édit. La Découverte & Syros, France, Paris, 2002, p.40
[16] Ibid., p.46
[17] Ibid., p.46
[18] Ibid., p.49
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