mardi 6 octobre 2015

La Nakba : Un témoignage émouvant !


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Adam Mira

Quand j’étais au lycée, mon professeur m’a demandé d’aller  soigner mes dents, car elles étaient jaunes.

Je n’ai pas répondu et j’ai négligé sa requête, mais chaque fois qu’il me voyait, il répétait sa demande et il me poussait inlassablement  afin de voir un dentiste. Finalement, j’ai saisi qu’il pensait que je fumais et à cause de la cigarette mes dents étaient jaunes.
Après plusieurs semaines, j’ai ramené ma mère à l’école pour expliquer au professeur que la cause de mon problème n’avait aucun lien avec la cigarette.
C’était la première fois où j’ai entendu l’histoire de ma famille, je n’ai jamais pensé que nous étions réfugiés et que nous avions vécu des moments atroces pendant de longues d’années.
Au quartier chic de Damas où ma famille vivait depuis quelques années, nous, les enfants n’avons jamais été frappés par des souvenirs de malheurs ou de douleurs, car nous avions tout ce que nous voulions sans même le demander à notre mère.
Alors, ce jour-là, j’ai appris toute la vérité sur ma vraie identité et depuis ma vie allait changer au fur et à mesure.
Ma mère racontait au professeur que lorsqu’elle était enceinte de moi, elle est tombée malade et comme elle vivait dans camp de réfugiés palestiniens, les soins n’étaient pas vraiment adéquats, le médecin lui a donné des antibiotiques qui sont la cause du jaunissement de mes dents.
Le professeur n’a rien dit sauf qu’il l’a remerciée d’être venue à l’école afin d’expliquer la situation de son enfant et de mettre fin à sa demande.
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J’étais debout entre les deux, j’ai tout entendu, chaque mot je l’ai avalé et l’ai mémorisé pas seulement dans ma tête, mais aussi dans mon cœur.
J’ai compris ce jour-là, pourquoi beaucoup d’étudiants ne voulaient pas être mes amis et qu’aucune fille n’acceptait de sortir avec moi. Même, certains professeurs m’ont négligé, comme si  je n’étais pas dans leur classe.
Soudain, une lampe s’allumait dans ma tête, j’ai tout saisi! J’étais et je suis un refugié palestinien qui a eu la chance de ne pas continuer sa vie dans un camp de refugié et de vivre dans des quartiers chics grâce au travail acharné de mon père. Il voulait à tout prix redonner à sa famille le niveau de vie aisée qu’il leur offrait en Palestine!
Quelques mois après, pendant la période de vacances d’été, ma grand-mère maternelle a débarqué chez nous afin de nous rendre visite, elle vivait au Kuwait avec deux de ses enfants.
Son arrivée pour moi était comme la caverne d’Ali baba, un trésor de réponses, je voulais tout savoir. Mes parents nous épargnaient  pendant longtemps en évitant de nous parler de notre situation. Ils pensaient que le moment n’était pas encore venu!

Le témoignage de ma grand-mère :


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Ma grand-mère est morte en 1989, elle portait autour de son cou la clé de sa maison à Yaffa, devenu Jaffa après la création d’Israël en 1948. Ce jour-là, qui est devenu le jour de l’indépendance pour les sionistes juifs, était pour nous les Palestiniens la Nakba, c’est-à-dire  la catastrophe.
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Plus de sept cents mille palestiniens ont fui leur patrie afin de se réfugier dans les pays voisins (l’Égypte, le Liban, la Syrie, la Jordanie et l’Irak), ils ont laissé derrière eux leur passé, leurs souvenirs, leurs biens et surtout leur avenir. Pendant  plus de sept décennies, les 700 mille sont devenus plus de quatre millions vivants dans les quatre coins du monde, leur seul rêve est de retourner à leur patrie afin de récupérer leur vraie identité.

Je ne parlerai pas dans ce recit de la situation politique et les complots régionaux et internationaux planifiés contre les Palestiniens avant, pendant et après l’exode des Palestiniens, mais je veux seulement raconter l’histoire de ma grand-mère, une simple femme palestinienne qui a vécu la Nakba et qui a tout perdu, absolument tout sans exception.

Un témoignage sans retouches :


Chaque jour, ton grand-père rentrait à la maison tard après avoir fini ses rencontres avec les politiciens dans son café el-Saah, la Montre. Il fallait faire aussi le tour de ses propriétés : l’usine de friandises et ramasser les loyers des logements qu’il louait.
Un jour, il est revenu à la maison pâle et nerveux. Il m’a annoncé que le temps était venu afin de partir pour un certain temps avant que les milices sionistes ne massacrent les habitants de Yaffa, ne violent les filles, n’égorgent les femmes enceintes et ne tuent les hommes.
Ton grand-père avait deux frères, Ibrahim qui a refusé de partir et Darouich qui a décidé de partir en Syrie  en prenant le premier bateau. Et lui, ton grand-père, a préféré aller en Égypte. On a laissé tout derrière nous, sauf l’argent et les bijoux. Nous étions convaincus que notre absence ne serait que pour quelques semaines, voire quelques mois.

On a choisi la route vers Gaza, nous étions entassés dans la voiture, ton grand-père, tes oncles et tantes et moi incluse. Personne ne disait un seul mot, nous regardions autour de nous, c’était la Nakba, la catastrophe : des femmes, des jeunes filles, des enfants et des hommes portaient sur leurs dos ou sur un chariot quelques effets personnels. Leurs visages étaient pâles, leurs regards se perdaient dans le vague et les enfants pleuraient sans arrêts. Autour de nous la poussière nous enveloppait et les réfugiés pleuraient leur sort et leur tragique destin. Nous écoutions la radio qui diffusait sans arrêt les massacres que commettaient les milices sionistes et l’Armée arabe qui essayait en vain de les vaincre. Nous apprenions que des batailles avaient lieu sans savoir où exactement, mais nous savions que la guerre avait commencé et qu’il fallait avoir un vainqueur et un vaincu. Nous étions conscients bien-sûr que celui qui gagnera est celui qui écrira le premier chapitre de notre histoire.
Nous étions chanceux, car nous n’avons manqué rien. En effet,  dans la voiture nous étions serrés, mais en sécurité. Notre voiture roulait lentement mais surement afin d’arriver à destination.
Chacun cherchait à sauver sa peau sans regarder derrière lui. C’était le jour du jugement dernier, de la fin du monde, chacun pour soi!
Grâce aux relations de ton grand-père, on a franchi la frontière égypto-palestinienne sans trop de retard. Puis, dès que nous avons quitté le territoire palestinien, notre voiture s’est mise à rouler à grand vitesse. De part et d’autre de la route, nous avons vu les soldats avec leurs armes et leurs visages montraient sans doute leur détermination.
À notre arrivée au Caire, ton grand-père a immédiatement loué une grande maison et il a commencé à rencontrer ses amis de longue date.
Nous, à la maison, on écoutait la radio et les promesses des dirigeants arabes de libérer la Palestine. Malheureusement, ce n’était que des mensonges et  à la mi-mai de 1948, le jour où David Ben Gourion a proclamé la création de l’État hébreu et  sa victoire contre l’Armée arabe, tout le monde a compris, dont ton grand-père, que nous avions tout perdu et que le retour en Palestine ne sera pas pour bientôt.
Quelques jours après, il a fait une chute, il s’en est sorti, mais il était brisé physiquement, moralement et émotionnellement. La nouvelle sonnait en lui comme un séisme. Sans doute, l’homme fort de la famille qui venait de tout perdre se devait de faire quelque chose pour que sa petite famille continue sa vie avec dignité.
Quelques temps plus tard, les enfants sont tous allés à l’école, sauf l’aîné qui est parti à Beyrouth afin de faire ses études à l’Université américaine. D’ailleurs, une fois  ses études terminées et il est parti en Arabie Saoudite afin de travailler et pouvoir nous aider.
Plusieurs années après, la situation au fur et à mesure a commencé à s’améliorer, mais ton grand-père n’était plus le même, il parlait peu, ne souriait presque plus et il s’éteignait jour après jour, jusqu’au jour où il est mort dans son lit humilié et loin de son foyer, de ses biens et de ses racines.
Tes tantes se sont mariées, tes oncles aussi, sauf deux oncles qui sont partis au Kuwait où nous vivions depuis la mort de ton grand-père.
Sais-tu quel est mon plus profond souhait? J’aimerais seulement que l’on m’enterre à Yaffa en Palestine et que mes enfants ramènent la dépouille de ton grand-père et l’enterre à côté de ma tombe en Palestine, notre terre, notre patrie que l’on nomme maintenant Israël.
Aujourd’hui, ma grand-mère est enterrée en Égypte, pas loin de la tombe de son bien aimé mari.  Son souhait d’être au côté de son époux a été exaucé, par contre les deux sont morts réfugiés, très loin de leur patrie volée et violée sous les yeux passifs et même complices du monde entier qui a participé activement à la Nakba d’un peuple qui a vécu et vit toujours sa souffrance loin des caméras et des médias et dont les droits fondamentaux sont encore bafoués malgré toutes les résolutions des nations unies.                                                                    A.M

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